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Dans ces billets, je voudrais relater des événements qui se sont déroulés entre 2001 et 2007, mais dont l ‘origine est beaucoup plus ancienne.
Je vais essayer de reconstituer ce lent processus de descente inconsciente pour moi-même, mais réelle pour mon entourage.
Irréalité, ce mot colle à une définition de ce que peut-être une dépression.
Irréalité dans la mesure où celle-ci s’insinue à petites doses au fil des mois, comme un poison que l’on absorbe en petites quantités chaque jour, jusqu’à ce que la dernière goutte provoque le désespoir et entraîne le désir de “partir”, de quitter ce qu’il nous semble qu’on ne puisse plus trouver sur terre.
La toute première réaction, quand on encore suffisamment de forces est de rechercher dans le passé, dans l’enfance un événement assez important pour s’être enfoui dans notre cerveau et parcourir toutes ces années.
Le déroulement d’une vie et surtout la perception que l’on en a n’est pas forcément chronologique. Des événements peuvent marquer à certains moments et pas à d’autres. Ils ne prennent leur dimension qu’avec un certain recul.
Chacun étant doté d’une sensibilité différente, des vies parfois semblables seront vécues de manières différentes. Un peu comme dans une fratrie où les frères ou sœurs n’ont pas les mêmes souvenirs malgré leur proximité de chaque jour.
Aussi, dans ce récit, j’ai voulu présenter des textes inspirés par un mot, par une personne, par une période ou un état physique. Les textes s’enchaînent au fur et à mesure d’une réflexion s’étalant sur de nombreuses années.
Si le besoin de raconter persiste, on peut supposer que celui-ci est vivant, qu’il a besoin qu’on l’alimente et qu’on le partage
Qu’est-ce qu’une dépression ?
Je ne prétends pas être spécialiste, je ne suis spécialiste que de mon cas, j’en suis conscient. Mais je pense que ce qui peut réunir, ce sont les conséquences, les causes étant elles particulières à chacun.
Il faut d’abord savoir, que comme je l’ai dit plus haut, on ne prend conscience de sa dépression ou plutôt de l’état dépressif que par la confrontation avec l’entourage.
On n’est pas dépressif tout seul. On est dépressif par rapport à un environnement.
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Octobre 2006
Vouloir éliminer sa propre vie, ne peut être définit comme une atteinte à la Vie. Vouloir s’éliminer, n’a rien de commun avec une certaine rationalité de l’existence. Il s’agit en terme simple en quelque sorte d’un décrochage, d’une chute dans le désamour de soi.
Il s’agit aussi d’échapper à une souffrance psychique mais aussi physique annihilant la conscience de vivre, d’être dans la Vie. Le rejet de soi plonge la personne malade dans un négativisme extrême dans lequel paradoxalement, il trouve refuge, s’y complaît. L’exposition de son mal être devient sa raison de vivre, l’isolant toujours davantage. C’est une sorte de vie à l’envers, inaccessible à l’entourage.
Le déclenchement du passage à l’acte est provoqué par une faiblesse physique que l’on croit sans retour au point ressentir, quand le ” moment “est venu un soulagement, un repos obnubilant toute idée de mort. Cet état de ” futur mort ” est totalement occulté. IL N’Y PLUS QUE L’IDEE DU REPOS. OUBLIER.
Effectivement, on ne peut se défaire de soi, on ne peut se fuir soi-même et cela est intolérable. Toute thérapie ne fait que concrétiser l’état du malade, le pose en spectateur, car celui-ci peut analyser son mal sans être conscient de son propre état. Le malade peut ainsi occulter, oublier la réalité, en menant, selon lui une vie “normale “. La dépression, le mal-être le mettent en analyse de lui-même en permanence.
Sa dévalorisation au sein de la société est également un facteur majeur, il perd ses repères. Il passe d’un état de recherche d’affection à une intolérance hystérique, le plongeant dans une angoisse destructrice.
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Faire peser en permanence une menace par un comportement cyclique est                                       aussi violent que se livrer à des actes physiques. Les conséquences sont identiques. L’enfant ne s’habitue pas à une pression qu’il ne peut définir :
Ses doigts sont courts et gros, on dirait des bâtons de bois couverts de nœuds, chaque jointure laisse apparaître des crevasses sombres, les ongles rongés se fondent dans la chair. Ces mains telles des animaux fantastiques sont semble-t-il en permanence sur le qui-vive. Elles paraissent conscientes de leurs pouvoirs et en abusent. Sans le nuage de fumée on distinguerait à peine la cigarette.
Le petit garçon, le menton reposant au creux de ses bras ne quitte pas des yeux cette possible menace. Son cerveau est en éveil, prêt à lui donner l’ordre de s’enfuir.
L’homme aux mains avec des gros doigts lance celles-ci en direction de la femme courbée devant la cuisinière. Il lance ses mots comme s’il s’agissait de projectiles qu’il veut blessant. Les mains s’abattent régulièrement sur la table et la cendre s’écrase lentement sur le sol. Il remplit son verre et boit d’un trait, laissant échapper une goutte de liquide sur le menton qu’il essuie d’un revers.
Le petit garçon voudrait bouger, mais il n’ose pas, il est le spectateur immobile et craintif d’un spectacle qu’il ne comprend pas. Il ne peut cependant détacher son regard de l’homme au visage blême, aux yeux perçants, à demi clos. Au fond de lui-même il se dit que plus tard, quand il aura grandi il ne laissera plus à cet homme la liberté de terroriser, de crier, de menacer.
Mais en attendant il ne peut que subir cette violence qui arrive toujours subitement, sans motif, comme une bourrasque soudaine en hiver. Elle surprend et fige sur place. Elle ne donne pas le temps de se préparer, de se réfugier, pour attendre la fin de l’orage au contraire elle se propage et contamine toute présence. Car il lui faut pour se développer atteindre des victimes innocentes, sans défense.
Aujourd’hui, le petit garçon et la femme courbée sont les cibles de la colère de l’homme aux gros doigts et il n’entend pas les relâcher sans avoir déchargé toutes les paroles que son déséquilibre amène dans sa bouche.
Puis il se calme, un silence aussi soudain que le vacarme précédent et ce silence angoissant dure de longues minutes. L’homme aux gros doigts tremble les yeux baissés. La lassitude se lit sur son visage.
Le petit garçon lentement se risque à lever la tête, il a compris que l’orage était passé.
Brusquement l’homme se lève et sort en claquant la porte.
La femme courbée continue sa tâche comme si rien ne s’était passé, tandis que le petit garçon s’approche d’elle.
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Parfois, sans prévenir arrivait le moment de la séance d’accordéon.
Un accordéon diatonique se différenciant de l’accordéon chromatique par le fait que celui-ci comportait des touches rondes alors que l’autre comportait des touches semblables à celles du piano.
Mon père en avait fait l’acquisition malgré les faibles ressources de la famille, mais rien n’avait pu l’en dissuader. Heureusement qu’il ne s’était pas mis en tête de jouer du piano ! Ce qui aurait pu arriver, car d’instinct il pouvait jouer de n’importe quel instrument. C‘est ainsi que nous avons eu droit à la trompette, à la guitare, j’allais oublier l’harmonica, mais aussi les morceaux interprétés à l’aide de cuillères sur de verres de table !
Cependant c’est l’accordéon qui avait sa préférence. C‘était la grande époque d’Yvette Horner, d’ André Verchuren, de Louis Ledrich, de Marcel Azzola
L’accordéon trônait sur le buffet de la salle à manger, l’époque voulait que malgré l’étroitesse du logement pour la famille nombreuse, il y avait cette pièce qui ne servait que dans les grandes occasions et dans laquelle on exposait tout ce qu’on avait de plus précieux.
Quand il revenait avec l’instrument à bretelles, nous, les enfants savions qu’il était temps de se taire et de l’écouter.
Etait-ce du despotisme, je ne saurais pas le dire encore aujourd’hui, mais il ne supportait pas que l’on fasse autre chose que de l’écouter ! Cela souvent une heure ou plus et vous comprendrez qu’il ne faut plus me parler d’accordéon même cinquante après.
Nous avions droit bien sûr à toutes les valses, tous les tangos de l’époque. Le top étant «Etoiles des neiges » ou « Sous les ponts de Paris » et tant d’autres dont je vous fais grâce.
Je vois encore ses gros doigts de bûcheron parcourir avec légèreté les petites touches brillantes. Puis l’accordéon retournait sur son buffet, bien en vue, jusqu’à la prochaine séance.
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Mon unique frère, petit, frêle a sûrement été celui qui a le plus souffert. La vue de son père, au moment des repas le plongeait dans des pleurs incontrôlés. A la fin, quand mon père avait éloigné toute sa famille, il ne restait plus que ce petit homme entraîné dans une dérive dont il ne put sortir qu’en s’engageant dans la Légion Etrangère pour échapper à la prison. Malgré mes recherches, je ne sais où il vit.

1989
Il est arrivé un matin sombre, quand j’ai ouvert le portail, j’ai vu un petit homme, le képi blanc qu’il tenait à deux mains se détachait dans la nuit finissante.
Ses yeux brillaient. Il ne bougeait pas comme s’il voulait matérialiser sa présence.
1963
Avant de partir, je serre très fort contre moi ce petit garçon blond, si fragile que l’on a peur de le casser. Il me demande où je vais. Je ne réponds pas. Il retourne à ses jeux.
1989
– Tu me reconnais ? –
Oui, bien sûr que je le reconnais. Je ne reconnais pas l’apparence physique, mais je suis assailli par ces liens qui relient deux êtres quel que soit leur parcours.
Il me paraît toujours aussi fragile, pourtant il me raconte les parachutistes, la Guyane, les opérations de guerre.
Il a sommeil. Il ne veut pas manger.
Il a dormi toute la journée.
Je l’ai raccompagné au train.
Je lui demande si je peux l’appeler. Il me précise qu’il a maintenant un autre nom et qu’il ne vaut mieux pas.
Le képi blanc sur la tête, il est monté dans le train sans se retourner.
J’ai pleuré longtemps dans ma voiture.
2007
Je ne sais pas où il vit
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S’échapper dans le silence. Se fondre dans celui-ci, c’est l’ultime arme que j’avais trouvé pour échapper à cet homme. Je savais qu’en plus, cela le déstabilisait et j’en éprouvais un mélange d’échec et de jouissance. Ce silence m’aidait à me sentir plus fort que lui et me permettait de continuer à vivre mon adolescence.
2007

Tout comme les animaux, un enfant doit se trouver un refuge, il doit se donner la possibilité de se retrancher derrière des barrières imaginaires. La survie est la plus forte et aide en cas de défaillance des repères indispensables a se forger un regard, une manière de vivre permettant d’ attendre éventuellement un retour à ce qu’ il croit la normalité.
Ce père avait créé en moi un doute proche du rejet de l’ adulte, en tout cas l’ inaudibilité de  son discours. Cela a été valable également à l’ école. Je me suis petit à petit dirigé vers une forme d’ autisme. Ma réponse fût le silence. Plus un mot. Plus une parole. Je n’ avais pas besoin de faire des efforts pour cela, les mots ne venaient pas, ils se révoltaient avec moi. Et je me suis très vite rendu compte que cette attitude représentait effectivement une arme bien plus efficace que les vociférations de mon père.
Dès l’ entrée dans la maison, je me refermais, m’ isolais, évitais le plus possible le contact, ce qui  a eu le don de provoquer au départ une interrogation chez cet homme fruste qui ne connaissait que la brutalité et se sentait désarmé face au silence. Il lui fallait des réponses pour alimenter sa paranoïa. Que faire face à quelqu’un qui ne dit rien, qui plus est face à son fils de 14 ans qui le regarde, le regard vide, la bouche irrémédiablement fermée ? Je ne laissais pas paraître mon sentiment de puissance, mais je m’ en imprégnais, il constituait ce qui motivait mon désir de continuer à vivre. Je m’ attendais à ce qu’ il gravisse un cran dans la violence et qu’ il m’ agresse physiquement, ce qui ne tarda pas. Désarmé, la réponse de cet homme fût la violence. La violence que je redoutais, mais qui m’ indiquait que je lui étais supérieur.
Je reçus donc des coups, des projectiles divers comme un pot de moutarde qui explosa et se répandît dans toute la cuisine. Une autre fois et ce fût le paroxysme, il essaya de m’ étrangler de ses grosses mains calleuses, en  tentant de m’ échapper, j’ ai déraper et mon bras à traverser une porte vitrée découpant mon avant bras sur toute la longueur.
La famille terrorisée assistait à toutes ces scènes, se réfugiant dans un coin de la pièce, attendant que l’ orage passe.
C’ est alors que peu à peu, l’ idée de mon départ de la maison fût abordée. Mais la façon dont ils ont préparé mon départ reste toujours moi le comble de la lâcheté. Je veux dire par là, qu’ ils n’ ont pas voulu assumer cette situation et ils ont utilisés divers moyens dont en particulier la consultation d’ un psychiatre, nous sommes au début des années soixante et une consultation chez un psy n’ était pas à la mode, c’ est dire s’ il voulait absolument une caution pour m’ éliminer de leur vie. Chez ce spécialiste, ils m’ accusèrent de boire ! Je ne m’ y attendais pas ! J’ avais 14 ans !
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Un matin, ils sont venus me chercher. Je ne m’y attendais pas. On ne m’avait rien dit. J’ai préparé une petite valise.
1963
Le mois de septembre se termine et déjà l’ hiver chasse l’ automne petit à petit. Les arbres bordant la route défilent à toute allure. Assis à l’ arrière de la voiture, je n’ ai pas encore dit un mot de puis le départ. Que pourrais-je dire ? De quoi pourrais-je parler ? Je n’ ai pas encore repris mes esprits, tout est embrouillé dans. A l’ avant, le chauffeur discute avec son voisin, mais je n’ arrive pas à saisir le sens de leur conversation. Tout me semble loin et inaccessible.
Dans la poche arrière de mon pantalon, j’ ai un paquet de gitanes; j’ai envie de fumer, mais je n’ ose pas, j’ ai peur. J’ ai toujours peur et je calcule toujours mes gestes et mes paroles par crainte de mal faire ou de froisser.
Inexorablement la voiture avale les kilomètres et m’ emporte vers ce qui va être ma nouvelle vie.
– Tu ne dis rien ? me dit soudain le chauffeur par-dessus son épaule. Perdu dans  mes pensées, cette grosse voix me surprend.
– C’ est que je n’ ai rien à dire.
Ma réponse est volontairement empreinte d’ agressivité, mais je m’ efforce d’ esquisser un sourire, malgré la tension de tout mon être.
Ce bref échange de paroles m’ a fait revenir à la réalité et la vue de l’ extérieur me distrait quelque peu. Nous sommes arrêtés par un passage à niveau, un train bondé de voyageurs défile sous mes yeux, tous ces gens vont eux aussi quelque part. Vont-ils eux aussi vers une destination qui décidera de leur avenir ? Je ne sais pas, mais déjà les barrières se lèvent.
Je ne peux m’ empêcher de jeter un coup d’ oeil en arrière sur le train qui je le sais passera comme tous les jours devant la maison que je viens de quitter pour toujours. Depuis une heure, maintenant je ne fais plus partie de cette maison, je suis monté dans la voiture et à partir de cet instant ma nouvelle vie a commencé. J’ ai fait des adieux symboliques à mes parents, il le fallait bien parce que ça se fait. Je sais très bien que je ne les reverrai plus, mais je n’ éprouve aucune peine. Ai-je l’ espoir de les revoir un jour ?  ils ont voulu mon départ et déjà une distance s’ est installée. J’ ai embrassé mes frères et soeurs qui ne comprenaient pas ce qui se passait, en particulier le plus petit qui plus tard subira le même sort que moi, mais ne s’ en remettra pas.
Les deux types, devant moi discutent sans arrêt, ils rient même parfois. La voiture cahote sur les routes sinueuses de la montagne vosgienne, nous traversons un petit village, les enfants sortent de l’ école.
De nouveau je pense à mes cigarettes, le stylo que j’ avais entre les mains est maintenant en morceaux et mes doigts sont maculés d’ encre.
Devant le passager, en fait je n’ avais pas remarqué qu’ il devait être de mon âge ne dit plus rien, il est plus décontracté que moi, mais je peux sentir chez lui aussi une certaine incertitude, une attente de l’ inconnu.
je ne connais pas la région dans laquelle nous arrivons, mais quelque chose me dit que nous approchons. Dans le ciel, de gros nuages noirs se bousculent et quelques grosses gouttes s’ écrasent sur le pare-brise, ce qui ne fait qu’ accentuer mon désarroi. Je suis au bords des larmes. où suis-je ? Est-ce possible ? J’ arrive à contenir mes larmes avec peine. l’ image de ma petite soeur plane un instant devant mes yeux embués, une larme s’ échappe, je l’ essuie rapidement, je ne veux pas que mes compagnons de voyage s’ en aperçoivent.
Saura-t-elle plus tard qu’ elle a un grand frère ? Je me sens tout à coup fautif. peut-être aurais-je dû avoir un autre comportement ?
Je réalise brusquement comme si je n’ y avais jamais cru que j’ allais désormais devoir vivre seul. Que toutes les menaces dont j’ ai été l’ objet se sont concrétisées. Peut-être qu’ au fond de mon subconscient n’ avais-je souhaité que cela.
Je me sens oppressé et au bord de la panique.
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2006
Dès ma plus tendre enfance, j’ai été réceptif aux ondes provenant de mon entourage, ondes qui affectaient directement ma personnalité et me menaient vers des chemins inconnus. Le milieu familial peu propice à m’éclairer, à m’aider à déchiffrer ce mystère, a très vite été l’objet de ma part d’un rejet espérant ainsi trouver un ailleurs  plus accueillant, je me suis vite rendu compte que l’ailleurs n’était pas le refuge tant espéré, que sans armes naturelles, je serais vulnérable.
L’adolescence, le monde merveilleux et cruel de l’adolescence m’a entraîné dans une spirale sans fin, ballottant mon corps tel un navire dans la tempête.

C’est dans ce tumulte que j’ai commencé à poser des mots, espérant traduire mon mal-être. Espérant fixer, arrimer toutes mes interrogations.

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Il lui arrive souvent de faire preuve de naïveté, de croire que tout va s’arranger, que les vautours disparaîtront, que les exploiteurs se convertiront en de charmants personnages bonhommes, à l’écoute des autres. Il lui arrive souvent de lutter contre un sentiment “victimaire ” pour se transformer en requin écrasant ses voisins.

Il lui est difficile de se situer entre la naïveté  et la nécessité d’être assez fort pour affronter les difficultés, laquelle l’entraîne dans la défiance, dans l’appriori.

La soif d’être en phase le plonge souvent dans des malentendus qui le ravagent.

L’utopie l’enlace comme une maîtresse envahissante qu’il rejette tout en goûtant ses délices. Il cherche le regard approbateur, prometteur de fusion. Il guette la parole libératrice par laquelle, il avancera dans la joie.

Il veut donner, se donner, espérant un retour qui n’arrive pas , car il ne discerne pas quand il faut donner et quand il ne faut pas donner. Il se fourvoie, le don n’est pas porteur de retour. le don doit se faire dans la force et non dans l’inquiétude, la faiblesse.

Le temps, les années se font attendrent, pour lui apporter le recul qui lui permettrait de calmer son coeur, de se libérer, d’ouvrir ses ailes à ceux qu’il aime.

Se rendre accessible, pour, lui est source de conflits intérieurs dont l’issue est toujours le repli sur lui-même, espérant pour une autre fois, un sursaut salutaire.

Son besoin de reconnaissance est un puits sans fond, son corps s’use à force d’exposer son âme sans retenue, quitte à l’entraîner à la dérive.
L’enfermement et les larmes sont ses refuges, mais aussi ses appels. Ses cris restent dans sa gorge et l’étouffent, jusqu’à l’effondrement. Pourtant il est aimé, respecté, tout est à sa portée, il n’a qu’à se servir. On lui dit que la vie s’ouvre à lui, il lui faut la saisir sans retenue.
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Ses querelles avec l’entourage étaient mémorables tout comme ses frasques.
On dirait aujourd’hui qu’il était un homme immature, irresponsable. Son autorité sur la famille n’était basée que sur la terreur et de ce fait supprimait tout sentiment légitime qui peut se créer entre un père et ses enfants.

Pourquoi n’a -t-il pas senti le besoin d’amour de ses enfants ? Qu’est-ce qui fait qu’un homme brouille à l’enfant, l’image qu’il se fait du monde adulte. L’enfant ne se construit pas et ne peut donc atteindre l’âge adulte avec conscience. Il n’a pas gravi, un à un tous les sentiers de la montagne, en prenant le temps de regarder le paysage. Cet enfant se retrouve au sommet sans armes pour affronter le froid et le vent.
La traction roule depuis longtemps, la nuit est tombée, quand il s’arrête dans la cour d’une ferme. Dans l’après-midi, sans me demander mon avis, il m’avait dit de le suivre.

_ Allez, viens.
Nous entrons dans une cuisine surchauffée, plusieurs personnes sont autour de la table. Il y a là, le père, la mère et les trois filles. Ils nous accueillent avec joie et je me demande comment et où mon père a pu rencontrer ces gens. Je m’assieds, mal à l’aise, ce n’est pas mon milieu et je n’aime pas ces rires bruyants et grossiers, du moins, c’est l’image que j’en ai. Les verres se succèdent. Je tombe de sommeil.
_ Allez ! Réveille-toi ! Il veut que je sois solidaire, que je l’approuve. S’il savait combien, chaque seconde qui passe, me sépare de lui.
J’ai vite compris, qu’il avait fait tout ce chemin, pour une des filles. C’était une belle fille, blonde, qui ne pouvait cacher des éclairs de vulgarité. Elle savait que mon père était là, pour elle. Elle en paraissait heureuse. Malgré ma présence, mon père se laissait aller à des paroles et des gestes, dont je feignais l’ignorance.
La soirée s’éternisait, quand il se leva enfin. La fille le suivit et nous partîmes dans la nuit froide vers le logement de celle-ci.
Dans la cuisine, seul, j’attendais. Les bruits étaient à peine atténués par la mince cloison. La honte s’abattait sur moi. Ma vie partait en morceaux. Ce fut une succession d’événements de ce genre, jusqu’à mon départ de la maison.
Il m’abandonnait, sans armes. Je devrais me construire seul. Seul je devrais déchiffrer les codes de la vie.
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Qui était-il cet homme ? Quelle était cette déchirure qui l’ entraînait dans une violence incontrôlée, terrorisant toute sa famille. J’ avais très tôt perçu chez lui son malaise de ne pas être une référence pour ces enfants. Cette perception pourrait être la seule circonstance atténuante que je pourrais lui accorder. je me suis rendu compte plus tard que nombre de parents n’ arrivent jamais à entrer dans leur rôle et cela provoque chez eux un tel désarroi qu’ ils se réfugient dans le rejet de leurs propres enfants et de leur famille en général.
L ‘inconstance de mon père, ses attitudes incompréhensibles lui revenaient comme un reflet dans un miroir. Il était prisonnier de filets dont il ne pouvait plus se dégager faisant de nous des victimes expiatoires. En tant qu’ aîné de la famille, j’ étais sa principale cible. Et dès que je fus assez grand pour m’ en rendre compte, je mis toutes mes forces pour me créer une carapace suffisamment épaisse pour supporter ses nombreuses vexations ou les aventures dans lesquelles il m’ entraînait.
Très vite la honte fit partie de mon univers. Il avait réussi à ancrer en moi un sentiment de culpabilité dont je souffre encore aujourd’hui. Je sais maintenant que ce sentiment se retrouve dans toute les situations où l’ on est victime de manipulateur.
J’ ai très vite également ressenti ce sentiment que je ne faisais pas partie de cet univers et tout au long des années qui suivirent j’ ai tout fait pour échapper à ce milieu avec plus ou moins de bonheur. je ne peux encore aujourd’hui regarder une photo de cet homme, il en est de même pour mes soeurs.
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Il faisait si beau ce jour là. C’était en hiver , la montagne était givrée imposant un silence presque religieux. Seul, le bruissement du ruisseau venait troubler la sérénité de l’instant. La petite route s’enfonçant dans la sombre forêt de sapins était recouverte d’une fine couche de neige, glissante.
Chaudement vêtu, j’avais éprouvé l’envie de sentir cet air vif qui brûle les joues et les oreilles. Je vivais depuis peu à cet endroit. J’habitais un presbytère tenu par un prêtre que l’on dirait aujourd’hui traditionaliste, avec la soutane et le chapeau; c’était devenu mon nouvel univers depuis que, quelques mois auparavant mes parents, m’avaient éloigné d’eux.
J’avais ressenti un réel soulagement à l’idée de savoir que je n’aurais plus à supporter les sautes d’humeur d’un père instable, oppressant toute la famille par une sorte de paranoïa. Cependant, je dois avouer que malgré ce sentiment de liberté souhaité par mon jeune âge, j’éprouvais souvent une solitude proche de l’angoisse et il me fallait me réfugier dans l’isolement et le silence.
J’étais donc dans cet état quand, derrière moi, j’entendis le bruit d’une voiture, j’utilise sciemment le mot bruit car il brisait littéralement le silence de cet endroit de la campagne vosgienne. Continuant mon chemin, j’ai entendu la voiture ralentir et tourner dans la cour du presbytère.
Il ne me fallu pas longtemps, pour reconnaître la voix de mon père, mes jambes se mirent à trembler et sans me retourner, j’ai accélérer le pas; il était insoutenable, pour moi de me retrouver face à cet homme que j’avais rayé de ma vie. En une seconde, rien qu’avec sa voix, il m’avait ramené à mes angoisses, à mon désarroi de n’être pas assez fort pour m’opposer à cet homme.
Bifurquant, je suis entré dans la forêt, apparemment, il ne m’avait pas reconnu. Assis contre un sapin, je suis resté assis, sans bouger, transis de froid et de peur pendant plus d’ une heure tandis qu’au loin, je distinguais mon père et ma mère en discussion avec le prêtre.
Je ne savais pas que c’était la dernière fois que je le voyais.
Il avait créé le vide autour de lui, sa femme, mes soeurs, mon frère étaient partis pour retrouver un peu de calme. Il ne sait pas le mal qu’il a fait.
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Le refuge de la nuit. L’oubli. Le sommeil
L’angoisse du jour, la peur du réveil
Augmente ses heures de veille
Pourtant, il devra affronter le soleil
Le corps tendu, il marche dans la rue
Frôlant les murs, il se jette à corps perdu
Au sein d’une foule qui se mue
En une énorme pieuvre incongrue
Malgré la chaleur, il frissonne
Conscient de sa vie monotone
Face à lui marche une madone
Irradiant telle une amazone
Comme il voudrait être fort
A l’image du matador
Briller dans l’arène en habits d’or
Et s’envoler tel un condor.
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Une autre fois, il s’est mis en tête de fabriquer des parpaings.
Il faut noter que je devais à chaque nouvelle initiative, participer à sa lubie. Il avait en quelque sorte besoin d’une caution pour se crédibiliser. Je n’ai jamais été un manuel, je ne le serai probablement jamais et ces travaux me coûtaient énormément en termes de contraintes.
Il a donc fallu construire des moules à l’aide de planches trouvées par-ci par-là et à l’aide d’une pelle faire du ciment à longueur de journée.Ces parpaings étaient ensuite entreposés dans la grange où ils sont restés des années. Quand j’ai quitté la maison, ils étaient toujours là.
Un jour il acheta un camion, en piteux état, pensant faire des transports, mais le camion resta là, devant la maison pendant des mois.
Un autre jour, il mit en tête d’acheter une scie circulaire afin de proposer ses services chez les particuliers. Ce qui en soit n’était pas une mauvaise idée, mais à l’époque ce marché était déjà bien fourni et il ne trouva que quelques clients compatissants. Et la scie rejoignit les parpaings pour un repos bien mérité !
Il achetait toujours des voitures à bout de souffle, ses moyens ne lui permettant pas d’investir dans une voiture neuve, pas plus d’ailleurs que dans une vieille voiture et avec le recul je me demande encore comment il finançait cette dépense, sûrement au prix du sacrifice du confort quotidien du foyer. Pour que ces voitures roulent quelques kilomètres, il fallait entreprendre des travaux de mécanique importants, discipline qu’il ne maîtrisait absolument pas. Et une fois de plus je devais l’accompagner, parfois des nuits entières. Il se lançait dans le démontage complet du moteur et je devais pendant ce temps, l’éclairer à l’aide d’une lampe électrique, me faisant houspiller chaque fois que le trait de lumière déviait.
Le sommet fût la gérance d’un cinéma. Je rappelle que nous sommes dans le début des années soixante, et le moindre petit village avait encore un cinéma, voire deux. Les propriétaires de ces cinémas recherchaient des gérants et je ne sais par quel hasard de rencontre, mon père se retrouva à la tête du cinéma Rex.Il prit son rôle au sérieux, il ressentait cette mission comme une ascension sociale. Il était responsable des entrées, de la vente des bonbons à l’entracte et surtout du bon déroulement des séances. Et c’est dans ce dernier point qu’il put donner toute sa démesure .Donner un semblant de pouvoir à une telle personnalité ne pouvait qu’aboutir à des conflits. Il agressait les spectateurs au moindre murmure. Il passait dans les rangs de la salle comme s’il surveillait une salle de classe. Mais les spectateurs n’étaient pas à l’image de sa famille des victimes soumises, ils se rebiffaient et c’était nouveau pour lui. Il y eut des bagarres, des insultes au point que le propriétaire mit très vite fin à cette collaboration.
Cela eut tout de même un côté positif car j’ai pu, pendant ces quelques mois voir gratuitement de nombreux films ! 
Il est mon père.
Tu n’es pas mon modèle je ne te crois pas.
Tes efforts sont vains et maladroits, je ne te crois pas.
Pourquoi me racontes-tu tout cela, je ne te crois pas.
Ta vie n’est pas la mienne, je ne te crois pas.
Ne comprends-tu pas mon espérance ? Qui es- tu ?
Je suis à ta recherche, mon coeur est ouvert. Qui es- tu ?
Tes paroles me déchirent, tes gestes brutaux. Qui es-tu ?
Mon silence est ma réponse, ma défense. Qui es-tu ?
Tu hantes mes jours et mes nuits. j’ai peur.
Tu m’impliques dans tes projets irrationnels. J’ai peur.
Tu souilles mon adolescence. J’ai peur.
Tu m’impliques trop dans ta vie. J’ai peur.
Je ne peux accepter ta façon d’être. Ne me retiens pas.
Je ne me sens pas de ta chair, tu m’es étranger. Ne me retiens pas.
Je vais me construire sans toi. Ne me retiens pas.
Je ne t’acceptes plus comme père. Ne me retiens pas.
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Je me souviendrai toujours de la terreur qu’il provoquait chez moi.
Sa personne me faisait peur. Ses yeux, ses mains, sa voix étaient une menace constante.
Mais surtout ce qui était le plus inquiétant c’est l’incertitude sadique dans laquelle il plongeait toute la famille. Allait-il avoir un comportement ” normal ” ou l’explosion allait-elle intervenir ?Cette inquiétude nous paralysait et cela avait le don de l’énerver. Ce qu’il lisait dans nos yeux effrayés le renvoyait à son comportement.
Je me souviens d’un jour d’anniversaire où en file indienne nous lui apportions nos petits cadeaux et où soudain il est entré dans une colère dévastatrice.
Involontairement nous avions sûrement fait appel à une faille dans son cerveau. Il se mit à détruire tous nos cadeaux, à insulter ma mère, et faire le vide autour de lui. Quelle était cette force qui le poussait à s’autodétruire, à s’isoler affectivement ?
Cet homme était composé d’innombrables facettes. Il pouvait être comique, d’ailleurs pour l’extérieur il passait pour le bon « copain » le boute-en-train » et sa compagnie était recherchée. Cette contradiction est souvent la règle chez ce genre d’individu, ils savent donner le change, ce qui isole davantage les victimes, car il est difficile d’entamer la perception extérieure de ces sadiques.
Il pouvait rentrer du travail de bonne humeur et improviser un spectacle ou faire des imitations, sans parler de la musique qu’il jouait d’instinct que ce soit avec un instrument ou avec des verres ou des cuillères ou encore avec un peigne et une feuille de cigarette.
Une autre facette caractéristique de son personnage était qu’il se lançait dans des initiatives complètement loufoques ou démesurées et ce sans aucune préparation. Dans l’heure il mettait son projet en route.
C‘est ainsi qu’un jour il décida de faire naître des poussins dans des couveuses. Il n’avait aucune notion, même de base et de toute façon il n’aurait écouté aucun conseil. Il se mit à construire de bric et de broc des couveuses qu’il répartit dans toute la maison y compris dans les chambres. Avec pour résultat que dès l’éclosion des poussins une odeur épouvantable se répandait dans toute la maison. Il n’avait pas non plus prévu la manière dont il commercialiserait ces poussins. Il les proposait à toutes ses connaissances comme si tout le monde allait s’encombrer de poussins !
Un jour même il roula jusqu’en Haute-Saône, c’est à dire à 120 km avec un carton de six poussins pour les proposer à un couple dont il connaissait le mari pour avoir fait son service militaire avec lui. Je me souviens encore de la tête de ces personnes qui, polies ont déclinées l’offre et nous sommes repartis, tard dans la nuit avec nos six poussins.
Cela dura quelques mois, puis l’idée s’est éteinte comme si elle n’avait jamais existé.
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Je suis, depuis toujours victime d’une angoisse permanente m’épuisant psychologiquement et physiquement, brouillant mes rapports sociaux. Les quelques moments de répit m’amène immanquablement à une crise encore plus forte.
M’intéressant aux études réalisées sur ce sujet, j’ai découvert le travail de Mélanie Klein, . Je ne suis pas assez érudit pour analyser tout son travail, et je ne veux surtout pas recopier des textes que je ne comprendrais pas, cependant, j’ai découvert un chapitre associant l’angoisse à la culpabilité.
Cette culpabilité toute aussi égale à mon angoisse. Je suis responsable de tout ! Je me sens responsable d’événements qui ne me concernent pas. Je n’arrive pas à m’isoler en tant qu’individu responsable. Ma culpabilité est à la fois une souffrance et une  » force « . Souffrance, parce que, conscient de mon état, je ne la maîtrise pas et une  » force  » entre guillemets, car elle m’entraîne dans une défense anarchique telle que le dédain ou l’idéalisation extrême ou encore la volonté de commander, de maîtriser pour passer par-dessus et reléguer ce malaise au second plan.
La nature de l’angoisse peut aussi bien provenir d’un événement heureux que d’un événement malheureux. Si bien, qu’au fil du temps, il est difficile de distinguer le bien du mal, l’amour de la haine, cela devient de la paranoïa.
On tombe dans la facilité c’est à dire dans l’agression, permettant ainsi de se cacher, de masquer ses sentiments. Cette agressivité à l’encontre de l’autre est encore plus directe envers soi. Ces états provoquent dans la plupart des cas l’isolement, plus on est seul, moins on aura de problèmes à affronter. 
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L’homme muet
Cache des mots forts
Peur de dire
Isolement coupable
Mélange de vie et de mort
Envie de dormir
Pour oublier qu’il est
Coupable d’être
Chercheur de regards
Il s’égare dans l’infini
Sombre en criant
Ombre parmi les vivants
Ses entrailles protestent
Ses mains se tordent
Dans une recherche de l’autre
Il glisse dans la crevasse
Sa peau est chaude
Le corps plié, souffrance !
Bruit dans les oreilles
Etourdissement incompris
Grand corps inutile
Ongles accrochés
Rage enfermée
De n’être pas écouté
Le temps l’efface
Invisible créature
Il aspire l’air sauveur
Instant de répit
Le non-dit gangrène son cerveau
L’aveugle
Son cri enflamme ses organes
Il n’est plus là, l’homme qui ne dit rien.
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2004
Daniel, pourrait-on se voir, cet après-midi, avec le patron ?
La question est posée par le directeur du site avec lequel je collabore quotidiennement en tant que responsable de la fabrication, dans cette importante boulangerie biologique. Boulangerie biologique, cela veut dire que l’on ne produit que des pains et des viennoiseries élaborés à partir de matières premières issues de l’agriculture biologique et que nous respectons un cahier des charges contrôlé par un organisme reconnu par l’Etat.
J’ai toujours travaillé dans ce domaine, 25 années en tant qu’artisan et ayant vendu mon affaire, employé depuis trois ans dans cette entreprise.
_ Pas de problème. Vers 16 heures.
_ A tout à l’heure !
Sa grande silhouette s’éloigne, pendant que je continue ma tâche, qui consiste à mettre au point de nouvelles recettes mais aussi à établir des processus de fabrications spécifiques au bio.
Mon engagement dans le bio relève avant d’un état d’esprit, étant convaincu, qu’il est vital que l’alimentation en général soit naturelle respectant l’environnement mais aussi bien l’organisme humain. Tout le monde, aujourd’hui parle de produits sains, mais quand j’ai démarré en 1976, je passais pour un rêveur qui ne  » tiendrait «  » pas longtemps. Je me suis décidé à vendre mon affaire parce que je n’en pouvais plus physiquement et moralement. J’ai donc vendu à un concurrent, qui m’a embauché. Celui-ci, est en fait un investisseur, pour lui le bio est une opportunité et comme il disait  » il espérait faire un retour sur investissement rapide « .
Je savais que ce langage, était loin de ma conception de mon métier, mais, peut-être fallait-il que je comprenne que l’époque avait changé. Ayant créé entièrement ma clientèle, des liens forts s’étaient établis avec celle-ci, basés qu’ils étaient sur une même vision de la société. L’entreprise ayant racheté mon nom, je me suis retrouvé face à ma clientèle, obligé de promouvoir une politique et des produits différents.
Ce fût le premier événement, qui me fit prendre conscience que j’aurai beaucoup de difficultés pour m’adapter, l’autre étant la différence d’âge avec le personnel, direction comprise. J’avais 54 ans. On m’avait embauché pour mon expérience et mon savoir-faire dans le bio, pour mon nom aussi, mais ces arguments ne suffisaient pas pour effacer l’ostracisme qu’il pouvait y avoir dans cette entreprise, mais petu-être était-ce le cas également ailleurs. Il me fallait donc faire beaucoup d’efforts pour m’imposer,  » paraître dans le coup « . Mais je m’usais psychologiquement, car étant perfectionniste, ayant travaillé longtemps seul, il m’était difficile d’accepter les  » concessions  » que l’on doit faire, dans la gestion du personnel dont j’avais la responsabilité . Cependant, j’effectuais ma tâche avec passion et a la satisfaction de mon patron, qui me le faisait savoir régulièment. Nous partions, souvent ensemble, rencontrer les clients, même si j’avais plus l’impression de lui servir faire-valoir que de collaborateur.
Des réunions comme celle à laquelle, je devais me rendre, était habituelle, elle se déroulait plusieurs fois par semaine.
La salle de réunion est grande, des échantillons encombrent les tables, le patron est déjà assis, quand j’arrive suivi de directeur. Je suis serin, car j’aime ces briefings qui me permettent d’expliquer mon travail à ces deux hommes qui ne sont pas du métier.
_ Bonjour Daniel, asseyez-vous. Je perçois un léger trouble mais avec moi, il a toujours été comme cela, le fait qu’il soit beaucoup plus jeune que moi et que surtout, il dépende entièrement de moi pour ce qui est de la production, ces éléments le mettent, me semble-t-il en état d’infériorité.
_ Bonjour. Je m’assieds, attendant qu’il prenne la parole. Le silence se prolonge et je m’étonne.
Il se tourne vers moi, je sens dans son regard qu’il s’engage avec une hésitation inhabituelle.
_ Bon, Daniel, vous savez combien, j’apprécie le travail que vous avez accompli au cours de ces trois années ( trois années jour pour jour ), et je vous en suis reconnaissant.
La qualité est maintenant régulière et l’équipe fonctionne bien. ( Il faut dire que dans ce domaine, trouver du personnel de qualité est difficile, à cause de la pénibilité et aussi des salaires trop bas). Je voulais vous rencontrer aujourd’hui, car maintenant que l’entreprise est sur la bonne voie, il faut passer à une autre étape. ( j’avais été embauché à quelques mois près, en même temps que son rachat de l’entreprise, nous avions donc tous les deux le même historique, le directeur étant venu plus tard .Cela créait, qu’il le veuille ou non une certaine forme de complicité.) Il s’interrompt quelques secondes, pendant que mon esprit commence à s’égarer ne comprenant pas où il veut en venir.
Il reprend :
_ Je dois rajeunir l’équipe. Il me semble que vos méthodes ne soient plus adaptées, à ce jour, des boulangers se sont plaints de votre rigidité. Et puis depuis quelques mois, je vous sens fatigué. Il faut donc trouver une solution pour que puissiez prendre votre retraite. Et puis, il y a également le problème de votre salaire qui est trop élevé, l’entreprise doit faire des économies pour trouver son équilibre. Mais ne vous inquiétez pas, nous trouverons une solution.
Je suis anéanti, mes yeux se brouillent, pris de tremblements, il m’est impossible de réagir. Je ne vois plus rien, ma vie s’écroule. Mon travail est ma vie et en quelques mots, quelqu’un a détruit ma vie, ce que j’avais construit tout seul, n’ayant pas eu la possibilité de faire des études, le fait d’avoir créé une entreprise et qu’ensuite on m’avait embauché pour mon savoir-faire et ma renommée avaient largement compensé. Et là, en une seconde, tout cela était nié !
J’ abrège la relation de cet entretien car cela m’est encore difficile.
Je me suis levé, inconscient. .
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Hiver 2004
Les murs gris de la chambre de la clinique où j’ ai dû être hospitalisé me renvoient irrémédiablement vers mon passé. Vers l’ enfant que j’ étais, mais aussi sur ce que je suis devenu. Que suis-je devenu ? Il m’ est impossible de répondre à cette question, sauf à répondre par la négative. La négation. Je suis dans la négation permanente de moi-même, des autres, je cherche des repères en même temps que je les rejette.
Ma vie depuis ces derniers mois s’ est repliée sur elle-même, éloignant de moi tout ce qui pourrait me rappeler le soleil. Des nuages gris, noirs et menaçants tournent en permanence dans ma tête. Je ne perçois plus la lumière où me semble-t-il vivent les autres sauf moi. J’ ai l’ impression qu’ ils m’ ont isolé et que je dois me battre. Que je suis seul à percevoir un monde qui m’ étouffe.
Nous sommes une cinquantaine, dans ce service, rigide, contrôlé par des infirmières psychiatriques plutôt revêches, mais je ne vois que mon cas. Pourtant, je côtoie tout au long de la journée, des personnes, hommes et femmes qui sûrement souffrent tout autant que moi, sûrement beaucoup plus pour certaines. La douleur psychique déforme le corps de certains. Les corps se déforment par les effets d’ une tension, d’ une difficulté de lire la vie. On dirait que les muscles se rétrécissent comme sous l’ action de flammes qui tordent le morceau de fer qui brûle.
Chacun s’ observe, chacun cherche dans l’ autre une issue. C’ est un regard à la fois égoïste et compréhensif car la maladie est là, palpable, nous baignons dedans. Les locaux anciens, froids ajoutent à cette désespérance.
Certains n’ acceptent pas la maladie et crie à l’ injustice, pathétiquement ils cherchent à se démarquer, à donner le change. Mais la maladie transpire à chacun de leurs pores, alors ils se referment sur eux, moins ils auront de contacts et moins ils seront confrontés à ce qu’ ils rejettent.
La plupart sont seuls. Très peu de visite ou une de temps en temps qui ne fait que les perturber un peu plus, car les visiteurs, mal à l’ aise, ne savent comment se comporter. Ils tombent dans la banalité, alors que le malade est en recherche permanente de sensibilité, d’ écoute afin qu’ il puisse trouver un peu de secours. Alors après la visite, il se réfugie dans leur chambre et pleure.
Les pleurs. Les yeux rougis. L’ appel suprême du malade en clinique psychiatrique. Expression matérielle d’ une maladie qui ne se voit pas, qui peut être cachée et dont beaucoup souffrent sans soins, seuls, isolés parmi la foule.
Si je pleure, c’ est que je suis malheureux donc on va s’ occuper de moi. C’ est aussi simple que ça. Mais le personnel soignant n’ est pas dupe, ou ne veut pas comprendre, ou n’ a pas le temps, ou s’ est trop habitué à la souffrance alors l’ attente du malade est une fois de plus déçue et celui-ci redescend encore un cran plus bas pour les heures qui viennent. C’ est entre malades que l’ on peut trouver un peu de réconfort, mais il faut se méfier, car cette aide est peut-être un piège et c’ est le soutien qui en fait puise sa substance en celui qu’ il prétend aider.
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Le bruit est assourdissant, les métiers à tisser renvoient inlassablement leur canette à travers la multitude de fils. La chaleur, due au taux important d’humidité, ralentit ses mouvements. En levant les yeux, il peut voir le jour à travers les grandes vitres couvertes de poussière cotonneuse..
Au milieu des centaines de métiers, des dizaines de tisserands de tous âges s’affairent, communiquant à l’occasion par signes complices. Chaque tisserand a la charge d’un secteur, il connaît chacune de ses machines et, à l’oreille, il sait reconnaître si l’une d’entre elles a besoin qu’il s’occupe d’elle. Ces hommes sont entrés à l’usine à la sortie de l’école. L’usine est intimement liée à leur vie, leurs pères, leurs mères y travaillent. Les logements qu’ils occupent appartiennent à l’usine.
Dés 14 ans, il s’est retrouvé dans ce milieu d’adultes, milieu rude, dans lequel, il essaie en vain de s’intégrer. Au fond de lui, instinctivement, il n’acceptait pas ce mode de vie, qui lui apparaissait comme un renoncement. Malgré son jeune âge, et bien que le fait de travailler représentait pour lui une sorte d’autonomie, il ne pouvait accepter la résignation qui semblait se dégager de ces femmes et de ces hommes. Peut-être avait-il tort ?
C’est dans cet état d’esprit que tous les jours il partait au travail, une semaine du matin, l’autre semaine de l’après-midi.
C’était un matin où il rechargeait ses barillets sous le regard sévère du contremaître tout puissant qu’ il la vit, de l’autre côté de l’atelier. Petite silhouette frêle, les yeux inquiets, déjà assaillie par le vacarme. Une ouvrière lui indiquait le travail qu’elle aurait à effectuer.
Pendant de longues minutes il ne put détourner son regard, la dureté de la vie s’abattait sur ses épaules. Une profonde notion d’injustice l’envahit, pour ne plus le quitter dans sa vie future. Cette vision exprimait une violence qu’il ne pouvait supporter, et des larmes lui vinrent aux yeux. Il avait envie de courir jusqu’à elle, de la prendre dans ses bras pour la ramener chez elle dans son cocon familial.
Cette jeune fille c’était sa soeur, sa petite soeur. Comment fut-il possible que ses parents l’aient, si jeune, plongée de façon si brutale, dans cet enfer.
Mais il n’avait pas le droit de quitter son poste, il ne pouvait que la
regarder, les yeux embués des larmes du désespoir et d’impuissance.
Ne pas quitter la vie,
S’accrocher de toutes ses forces,
Ne pas attraper les lianes qui le tirent
Vers l’au-delà.
Ne pas laisser le ciel se rapprocher,
Ne pas lever les yeux
Faire comme si rien ne passait
Trouver la force de s’accrocher.
Pouvoir encore regarder
La jeune fille qui sourit au loin.
Ecouter une musique triste sans pleurer
Résister au temps.
Ne plus libérer ses larmes.
Sourire sous le soleil.
Crier très fort, sous les arbres.
Courir le long de la rivière.
Oublier que son corps a vécu,
Que son coeur a souffert.
Qu’il faut se réfugier dans un autre temps
Espérer encore de la vie.
Pour un nouveau souffle
Regarder le monde
L’écouter et comprendre
Il fait beau aujourd’hui pourtant il est triste.
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Un village un peu triste, coincé dans une vallée, où il pleut souvent, et  les hivers sont longs. Elle vit maintenant dans une sorte de HLM, construite dans les années soixante dix. Les rideaux masquent le décor extérieur, où courent des gosses bruyants, où sont garées des voitures usées.
Qu’elle fut sa vie ? Mes yeux se ferment à l’idée de la vie de cette femme, petite, aux cheveux de neige, passant ses journées assise sur un fauteuil usagé. Que se passe-t-il dans ce corps, quand les souvenirs surviennent ? Se passe-t-il quelque chose ?
D’une famille modeste, d’ouvriers, elle s’est mariée très jeune, trop jeune, avec un beau parleur, elle, qui ne parle pas. Sa vie de soumise a démarré comme une fatalité inévitable. Le mariage, juste après la fin de la guerre, s’est déroulé comme le mariage de Gervaise de Zola. La photo repose sur le buffet de la cuisine depuis ce jour. La coiffure des années quarante, le style de la robe bleue ( je sais qu’elle est bleue, car elle existe encore ) sont les témoins de ce jour, où elle a scellé son destin.
Quelques mois ont suffit pour que je naisse ! Avais-je été la cause de ce mariage, je ne l’ai jamais su, mais cela est possible. La vie s’est installée dans ce nouveau foyer.
Qu’a-t-elle maîtrisé ? Très vite, elle s’est rendue compte que sa vie n’était pas la sienne. Les enfants se sont succédés, usant son corps, dans cette époque sans confort matériel. Ma sensibilité d’enfant me rapprochait d’elle, mais elle n’ a jamais su ou pu être proche de ses enfants. La charge de travail l’écrasait, ne lui laissait plus la possibilité d’ exercer son rôle de mère. Mais était-elle faite pour cette vie ?
A-t-elle eu la fibre familiale ? Je crois, que très vite, elle a renoncé, elle s’est laissé porter, se forgeant certainement un monde imaginaire.
Cette femme, je ne l’ai revu que deux fois, c’est ma mère.
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Fugue
La nuit, doucement, tombe sur la ville.
Les voitures , peu à peu se raréfient laissant place au silence.
Les volets se ferment l’un après l’autre.
Je me laisse envahir par le froid et la solitude.
La tête pleine de rêves, j’ai marché toute la journée.
J’ai laissé derrière moi toutes mes interrogations.
Grisé par cette liberté volée, mon coeur bat très fort.
Je suis en route pour l’aventure, l’inconnu.
Je veux voir Paris. Je veux voir le monde !
Ni la fatigue, ni la faim, ni la pluie ne m’ont ralenti.
Dans la nuit, quelques silhouettes se pressent.
Le froid m’engourdit, je me réfugie dans un immeuble en construction.
Le sommeil et la faim entament ma détermination.
Le contremaître m’a mis à pied une journée.
C’est la goutte qui a fait déborder le vase.
J’ai quatorze ans. Le travail dans l’usine de tissage est difficile.
Il ne devait pas me faire cela. Je ne suis pas rentré chez moi.
Il fallait que je parte.
Le jour se lève, je marche vers la gare.
Un policier m’interpelle. Je le suis.
Il m’offre des gâteaux.
Mes parents sont venus me chercher.
J’ai repris le cours de ma vie.
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1967
Je n’avais pas encore vingt ans, j’avais encore tous mes rêves.
La forêt au sein de laquelle je vivais s’éveillait en ce mois de mai.
L’importance de ce jour, l’impatience et la joie furent une trêve,
Dans les tourments de mon début de vie. Je n’étais pas armé.
Pourtant, tu es venue dans ce monde qu’il te faudrait découvrir.
Dés la première seconde, dés ton premier cri, je me suis senti père.
Tes premiers cris m’ont donné les forces nécessaires pour saisir,
Ton petit corps plein de vie. Il s’est imposé, cherchant déjà ses repères.
Tu as su très vite affirmer ta personnalité. Je puisais en toi des forces
Que tu me redonnais comme dans un échange magique et irrationnel.
Puis ce furent tes premiers baisers, tes premiers pas précoces.
Tes blonds cheveux en nattes encadraient ton rond visage de demoiselle.
Très vite, les années ont passé, tu as grandi, tes ailes se sont déployées.
Tu as su affronter les difficultés, les obstacles avec obstination.
A ton tour, tu as donné naissance à des enfants curieux, éveillés.
Tu es ma fille, je ne t’ai pas assez dit que je t ‘aimais. Pardon.